>  Pim Verschuuren

Chercheur à l’IRIS depuis 2010 et spécialiste sur les questions liées à l’impact du sport dans les relations internationales.


Des premiers Jeux Olympiques de l’ère moderne à ceux de Rio en 2016, l’évènement sportif a été placé au coeur des relations internationales. Il a même fait office de reflet et de baromètre des rapports entre les puissances. Eminemment internationalistes, les JO sont constitutifs de ces forces profondes qui influencent la décision des Hommes d’Etat. Tout au long de nos recherches, nous n’avons donc pas cesser de nous demander : Qui des relations internationales ou des Jeux Olympiques influence l’autre ?


Pim Verschuuren -  C’est une très bonne question, puisqu’en effet les deux s’influencent mutuellement. Lorsque vous avez des Etats qui sont plus puissants démographiquement, plus dynamiques économiquement que d’autres, ils auront d’une part plus de chance d’accueillir les JO mais également de remporter un maximum de médailles. Dans ce cas ce sont les relations internationales qui vont influencer les JO.
Le contraire est aussi possible. Lorsqu’un pays va remporter un grand nombre de médailles, ou devenir l’ hôte de cet évènement, les JO vont lui permettre d’améliorer son image et donc indirectement d’influencer les relations internationales. Ils vont développer le « soft power ». 

En juin dernier, un état d'urgence financier fut déclaré par l'Etat brésilien. En effet, il ne disposait plus de moyens afin de terminer la construction des infrastructures olympiques.   On peut dès lors se demander  si le choix du CIO a été judicieux. Quels sont d’après vous les critères fondamentaux permettant de déterminer si une nation peut organiser un évènement sportif d’une telle ampleur ?

Pim Verschuuren - Là aussi c’est un question très pertinente et complexe. Il existe tout d’abord des critères techniques imposés par le CIO, qui me semblent également essentiels, tels que 40 000 chambres d’hôtels dans la villes, des transports pour permettre la mobilité entre les sites olympiques, mais aussi de nombreuses infrastructures (stade, terrains) pour accueillir les compétitions et le public.
Ensuite, il est important de posséder un soutien politique et financier. L’Etat sélectionné doit être en bonne santé économique, il se porte garant de couvrir toutes les dépenses olympiques même si elles explosent,  généralement plus de 10 milliards d’euros.
Avant toute chose, il est nécéssaire de convaincre la centaine de membres du CIO que votre dossier est le meilleur, notamment grâce à la communication et le lobbying.  


Les droits de l’homme ne sont toutefois pas un critère pris en compte par le CIO, certains pensent d’ailleurs qu’il le devrait. C’est en effet une notion très subjective, bien qu’il existe une déclaration universelle des droits de l’homme. Nombreux sont les Etats qui considèrent qu’ils ne sont finalement qu’une création occidentale, et qu’on ne peut pas les imposer à tous les pays. Certains Etats pourraient eux aussi remettre en cause notre respect pour les droits fondamentaux de l’homme, en particulier dans le contexte actuel : réfugiés bloqués à nos frontières, prisons surpeuplées … Il est donc très difficile d’imposer ce critère, c’est pourquoi le CIO est toujours resté très neutre.
Concernant les Jeux de Rio,  il est très facile à posteriori de dire que cette attribution posait problème. Lors de sa nomination, la popularité politique de Lula était impressionnante, le pays possédait une croissance économique très importante, une superbe cohésion. Aujourd’hui, l’image du pays est altérée par le scandale de corruption, mais cela nous ne pouvions pas le prévoir. Il y a des aléas conjoncturels que l’on ne peut pas prédire à l’avance.

« Paix impossible, guerre improbable », on connaît le mot de Raymond Aron pour définir le dilemme de l’affrontement Est-Ouest, qui dépeignit inéluctablement sur les JO, et engendra de nombreux Boycotts. Bien avant cela,  en 1936, les JO furent le théâtre de la plus forte démonstration totalitaire de l’histoire. Ce rendez-vous quadriennal a vécu, subi et accompagné les évolutions géopolitiques. Il est par conséquent légitime de se demander : Comment les JO ont-ils survécu aux différents conflits et tensions mondiales ?

Pim Verschuuren - Dans un premier temps, il est nécessaire de rappeler que lors de la première  et de la seconde guerre mondiale les JO n’ont pas eu lieu, ils ont aussi beaucoup souffert lors de la guerre froide dus aux boycotts. Ils ont certainement survécu à ces conflits grâce à leur neutralité. Le CIO a toujours tenté de se placer en marge des tensions internationales. Prenons l’exemple de la 1er Guerre Mondiale, le CIO s’est réuni en Suisse (pays neutre). Il en est de même lors des attentats de Munich en 1972, en effet le comité décida de poursuivre les compétitions.


En ce moment, le CIO est lui aussi au coeur d’une crise pour la lutte anti-dopage, reflet des tensions internationales entre la Russie et les pays occidentaux. Là encore, il y a corrélation entre les relations internationales et les JO. Si les Etats-Unis sont aussi durs avec la Russie, c’est parce qu’ils sont en constant désaccord au sujet de l’Ukraine ou encore de la Syrie. Le conflit sur le dopage, précédemment évoqué a donc alimenter l’animosité entre les deux pays.

En ce début de XXIème siècle, la conversion relativement récente du sport de haut niveau aux valeurs du marché globalisé revêt  des caractéristiques inédites par le niveau des enjeux finan-ciers. Les JO se sont profondément transformés par leur relation à l’argent. Nous avons donc souhaité nous interroger sur la notion « d’ évènement populaire » que représentent les JO,  alors même que  les multinationales déboursent des sommes astronomiques et que certains athlètes touchent des sommes très importantes.

Pim Verschuuren - Si les multinationales déboursent autant d’argent c’est bien que c’est un évènement « populaire » , c’est évidemment parce que tout le monde regarde les jeux olympiques que les sponsors veulent être visibles. Les deux sont donc liés.

D’après le père fondateur des Jeux modernes, ce rassemblement sportif devait être « le reflet de la conception du bonheur, de l'homme, de la perfection, de l'amour ». Cette vision ne s’est-elle pas progressivement érodée puis émiettée au cours des JO des dernières décennies?

Pim Verschuuren - Ce ne sont pas les JO qui ont changé, mais bien notre conception du « bonheur, de l’homme, de la perfection et de l’amour » qui est devenue beaucoup plus marchande. L’ évolution des JO n’ est que la vitrine de notre société : l’individualisation, la commercialisation. 

En 1968,  le Comité estimait que la lutte contre la ségrégation raciale en vigueur aux Etats-Unis n’avait pas sa place aux Jeux mexicains; à contrario,  il ne pu s’abstenir deux décennies plus tard de mener de grandes actions en faveur de cette cause. Comment expliquer ce mutisme, puis cette vive implication ?

Pim Verschuuren - Lorsque le CIO fait face à un régime aussi raciste que celui d’Afrique du Sud, il se doit de réagir, il ne peut pas fermer les yeux. Il y a un moment où le CIO doit mener des actions. Toutefois, aujourd’hui encore nous ne savons pas où se situe le curseur. Il existe bel et bien des critères éthiques dans la charte du CIO mais leur application ne peut pas être très précise. De nos jours, le CIO ne se prononce pas sur les questions des droits de la femme, dans les pays du monde arabe. Il donc important de souligner les nombreuses contradictions de cette organisation.

Les slogans mercantiles, l’affairisme publicitaire et gouvernemental visant à susciter et à exalter une adhésion française commune autour de l’olympisme n’empêchent-ils pas  quiconque de penser autrement ?

Pim Verschuuren - Aujourd’hui il y a une sorte de consensus au sein de la classe politique française, des médias, des observateurs et des experts pour dire que cet évènement est indispensable. Il n’existe pas de débat, on ne peut pas penser autrement; ce qui pose problème selon moi. Je pense cependant que les débats vont se densifier, se multiplier à l’approche de l’attribution des JO de 2024 et des élections présidentielles de mai prochain.

Malgré les dérapages budgétaires et les soupçons de dopage, le Mouvement Olympique se perpétue. Une question subsiste : Doit-on organiser des JO à n’importe quel prix moral et financier ?

Pim Verschuuren - Lorsqu’un individu organise une fête et qu’il invite ses voisins et amis, cela lui coûte évidemment de l’argent. Seulement son but n’est pas de gagner de l’argent, mais de donner l’image de quelqu’un de sociable et de généreux à son entourage, et par dessus tout de passer un bon moment. Les JO sont tout à fait comparable à une fête. La rentabilité n’est pas l’objectif premier, les pays organisateurs souhaitent avant tout montrer leur capacité à accueillir la communauté internationale.

Peu avant le début des compétitions l’année dernière, l’athlète russe Stepanova révélait au grand jour les rouages d’un système de dopage instauré par l’Etat russe. Ce feuilleton n’a t-il pas mis un terme au mythe de l’apolitisme et à la promesse de fermeté du CIO ?

Pim Verschuuren - L’apolitisme ainsi que la fermeté du CIO avaient bien avant le feuilleton du dopage russe été remis en cause. Je crois, que le désaccord au sujet des athlètes russes a par contre fortement endommagé la politique anti-dopage.

Dans une France frappée par le chômage, endeuillée par le terrorisme et divisée par les mesures d’austérité, l’organisation des JO en 2024 n’est-elle pas une volonté du second plan ? Pourquoi ne pas sonder les Français, la principale source de financement, sur leur volonté d’organiser ces Jeux ?

Pim Verschuuren - La classe politique et l’administration sont tout à fait favorables à l’accueil de ces JO, mais il y a d’autres priorités, il faut gagner. Nous pourrions malgré tout, sonder les français sur leur volonté d’organiser ses jeux à Paris tout comme l’avait fait Boston et Hambourg; qui eurent en outre des réponses aux référendums négatives à la candidature de leur pays. Nous pouvons également citer Rome, qui, à la suite de l’élection de la nouvelle maire s’est désengagée. Je pense tout simplement que les politiques français ont peur du rejet de la population.

Depuis 2015, les attaques terroristes se sont multipliées, obligeant le gouvernement a instaurer l’état d’urgence. Ces actes terroristes sur le sol français peuvent-ils nuire à la nomination de Paris pour les JO 2024 ?

Pim Verschuuren - Une multiplication des attaques terroristes d’ici à la nomination pourrait en effet nuire à la candidature parisienne. Cependant, la France n’est pas le seul pays en proie au terrorisme, les Etats-Unis et Budapest ne sont pas à l’abri. On peut également se remémorer les attentas de 2005 à Londres, qui eurent lieu le lendemain de l’attribution des JO à la capitale.

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